Article mis à jour le 6 Nov 2022
Chaque pays, chaque région voit ses propres signes du retour du printemps. Sur la côte morbihannaise en Bretagne Sud, quelques groupes d’Avocettes élégantes hivernent... Mais la plupart reviennent en avril après avoir hiverné sur la côte Atlantique jusqu’à l’Afrique du Nord, même si nombreuses sont celles qui se contentent du Sud de l’Europe. Les effectifs gonflent : certaines ont retrouvé leur site de nidification en se rendant dans le Golfe du Morbihan, mais pour d’autres, il s’agit juste de marquer une étape régénérante avant la suite du parcours vers la Belgique ou les Pays-Bas.
Une physionomie intrigante !
Arrêtons-nous un instant sur nos belles arrivantes : ce magnifique petit échassier n’a pas usurpé son nom. Casque, pointes des ailes et épaules noir, sur un corps blanc pur, le contraste est saisissant. Les longues pattes sont gris-bleutées, mais ce qui frappe le plus son observateur est la particularité de son bec : long, fin et retroussé vers le haut. Quel étrange oiseau ! Pourquoi ce bec étonnant ?
L’Avocette élégante fait partie du sous-ordre des limicoles (d’origine latine - limus : vase, boue, limon ; colo : habiter, fréquenter). Ce groupe d’oiseaux est composé de petits échassiers qui ont soit de grands yeux et un bec court, soit de petits yeux et un long bec ; tous sont adaptés à chasser des proies de petite taille dans les vasières. Le bec étonnant de l’Avocette élégante ne la dessert aucunement, bien au contraire : à l’affût des petits vers de vase, mais aussi insectes, mollusques ou crustacés, elle se sert de la partie retroussée de son bec pour « sabrer », donner des petits coups de becs latéraux avec le bec entrouvert pour capturer ses proies à la surface de la vase. Cette partie du bec est richement innervée : l’Avocette n’a pas besoin de voir ses proies, elle chasse au toucher !
Qui dit printemps, dit...
Les Avocettes nicheuses retrouvent les marais de Séné, à la recherche d’ilots de nidification qui leur permettront d’être hors de portée des prédateurs terrestres. Elles recherchent un habitat pionnier : le sol doit être nu, sableux, éventuellement caillouteux, dépourvu de végétation. Elles y creuseront, le moment voulu, de petites cuvettes sommaires en guise de nids.
Mais pour l’instant, début avril, l’heure est à la ripaille : après le long voyage migratoire effectué, les embûches rencontrées, les Avocettes élégantes alternent des séances de ravitaillement intensif et de longs moments de repos, en équilibre sur une seule patte bien souvent, le bec dans les plumes. Les conditions d’accueil du site sont bonnes et les individus peuvent commencer à se courtiser…
Les parades nuptiales des Avocettes sont longues et charmantes : Madame incline la tête au ras de l’eau tandis que Monsieur fait sa toilette à côté d’elle ; il passe derrière sa compagne et recommence de l’autre côté. Il répète ce manège plusieurs fois tandis que la femelle reste immobile, avant de s’accoupler avec elle, ailes ouvertes. À la fin de l’accouplement, Monsieur et Madame courent quelques pas côte à côte en se tenant par le bec, l’aile du mâle couvrant le dos de la femelle, avant de se séparer ! Le couple reste uni, répète les accouplements et procède à des séances de toilettes côte à côte.
Puis, la femelle déposera ses œufs, généralement quatre, dans la cuvette qu’elle aura creusée avec ses pattes en se couchant sur l’emplacement. Bien souvent, nous ne comprenons pas pourquoi ces oiseaux ne rehaussent pas davantage leur nid et le construisent à fleur d’eau, ce qui est dangereux en cas de fortes pluies ou de tempête pendant l’incubation. Si les Avocettes élégantes procèdent ainsi, c’est par besoin d’humidité mesurée et constante dans le sol au contact de la coquille de leurs œufs, afin d’assurer le bon développement de l’embryon.
Mâle et femelle garnissent parfois le nid d’herbes et de coquillages en petite quantité, mais pas nécessairement. Les deux membres du couple commencent à couver à partir du troisième ou du dernier œuf, ce qui permet de grouper les éclosions. À cette occasion et durant vingt-cinq jours, les parents se succèdent à la couvaison de manière singulière : le relais s’approche du nid, attrape quelques brins au sol avec son bec, les rejette en arrière avant de se glisser sous l’arrière du couveur, ne lui laissant d’autre choix que d’accepter ce relais.
La plupart du temps, les colonies d’Avocettes élégantes jouxtent celles d’autres espèces autrement plus bruyantes qu’elles, bien souvent des sternes ou des mouettes. Pourquoi se cantonner à côté d’autres oiseaux au risque de querelles ? Le choix est judicieux : imaginez – et cela arrive inéluctablement – la venue d’un prédateur, de nature terrestre ou ailée, sur ces colonies représentant une profusion de nourriture. Les Avocettes vont survoler l’individu, descendre en piqué, procéder à des attaques de groupe, cependant leur bec fragile et sensible ne leur permet pas de frapper le prédateur. En revanche, mouettes ou sternes vont prendre cette menace pour leurs propres nids et attaquer l’intrus beaucoup plus efficacement avec leurs becs bien robustes. Habile, non ?
Un petit mois passe jusqu’au jour de l’éclosion, où l’heureux observateur sera frappé par un phénomène étonnant : l’adulte couveur se précipite à l’eau avec un objet dans le bec. Il lave une coquille… Une coquille d’œuf. Le premier petit est né ! Il patientera sous le ventre moelleux et chaud de l’adulte au moins jusqu’à l’éclosion des frères et sœurs… Rarement plus. Les poussins d’Avocettes sont de petits débrouillards ! Dès le premier jour, les deux à cinq petits vont marcher, s’alimenter et même nager seuls. Avec bien sûr de charmants ratés : petites chutes maladroites au moment de la marche, difficultés à attraper la première proie… Il s’agit d’un merveilleux spectacle dont il faut profiter car il ne dure guère : la petite famille au complet va quitter rapidement la colonie, dès le premier, sinon le second ou troisième jour, se rendre jusqu’à trois kilomètres parfois pour trouver un territoire qui lui sera propre. Les poussins suivent péniblement mais vaillamment leurs parents.
Parfois, on revoit la petite famille, on peut observer alors des scènes étonnantes : par une journée fraîche, une Avocette s’alimente, son conjoint reste sur ses tarses*, sur le sable, immobile... A bien y regarder, cette Avocette est énorme ! Et en prenant ses jumelles, on constate qu’elle a huit pattes… Non, ce n’est pas l’apéro qui vous joue des tours : l’Avocette à huit pattes, ça existe, même à douze parfois, car les petits sont debout sous l’adulte, leurs petits corps modérément duveteux pris dans le manteau confortable du parent.
Une forte prédation est exercée sur les poussins d’Avocettes, c’est le désavantage d’être autonome dès le départ : il est plus facile pour un prédateur d’attraper un poussin nidifuge (qui « fuit » le nid) qui arpente tout un territoire, qu’un poussin nidicole (qui « habite » au nid), comme les poussins de mouettes de la même colonie mixte, qui se font nourrir au nid par les parents jusqu’à leur envol. Néanmoins, cela est compensé par une forte longévité de l’espèce (L’Avocette élégante peut vivre vingt-cinq ans). La prédation occasionne des pontes de remplacement durant la même année, si bien qu’il n’est pas rare, au mois de juillet, de rencontrer de jeunes familles d’Avocettes élégantes…
À vos jumelles donc, et belles observations !
* Sur la moitié de ses pattes, il en couche une partie